Le BlackBerry nouveau a été annoncé et devrait sortir au fur et à mesure dans les différents pays dans les jours et semaines qui viennent. L’entreprise mise en grande difficulté sur un marché qu’elle a pratiquement créée depuis la sortie de l’iPhone d’Apple puis de l’arrivée massive d’Android se devait de présenter quelque chose d’extraordinaire pour avoir un espoir de s’en sortir à terme. Car si le canadien possède encore de la marge grâce à ses 2 milliards de dollars « cash », plus le temps passe et plus les possibilités de manœuvres sont réduites.
Ainsi, si il y a encore quelques années le BlackBerry était l’outil de prédilection des professionnels, la situation a totalement changé de nos jours et rares sont ceux qui utilisent encore un de ces appareils dans leur quotidien. Certaines applications telles que le célèbre BBM (BlackBerry messenger) avaient aidé un temps l’entreprise à s’ouvrir à d’autres marchés et avait séduit une partie du grand public, souvent adolescent, mais là encore, les deux concurrents (iOS et Android) ont clairement occupé le terrain depuis.
Si on ajoute à cela que la gestation du nouveau système a duré plus de deux ans et qu’entre temps l’entreprise n’aura sorti aucun nouvel appareil depuis 18 mois… On mesure aisément le retard pris face à un marché en pleine explosion (Lire : Parts de marché smartphone : Android représente quasiment 70% des ventes de 2012 selon Strategy Analytics).
L’annonce était donc très observée, par les clients et actionnaires de RIM en premier lieu bien évidemment, mais aussi par toute la concurrence pour évaluer le risque de voir ce nouveau système perturber un marché déjà très complexe. Que peut-on dire de ce système ? Les premiers tests réalisés par les sites américains de The Verge et Engadget nous éclairent. Je ne vais évidement pas recopier ou traduire ces tests très complets, mais en interpréter ma vision.
Une interface non intuitive et qui pèche par son originalité
BlackBerry, puisque RIM doit désormais être nommé ainsi, a bien évidement cherché à se démarquer de ce qui existe chez les concurrents. Cependant difficile de ne pas reprendre certains aspects nécessaires tel qu’une liste d’applications présentée sous forme d’icône. Nul besoin de vous faire un dessin ici, cette liste reprend peu ou prou les codes de ce que nous connaissions il y a des années sur Palm, et plus récemment sur iOS ou Android. Des icônes et une pagination assez classique mais avec un rendu visuel plus proche de ce que le canadien avait l’habitude de proposer. C’est sobre mais pas forcément très esthétique…
Première chose qu’on remarque immédiatement, le système ne propose pas de bouton physique comme sur l’iPhone ou de boutons sensitifs à la manière d’Android 4, des boutons virtuels sont affichés à l’écrans. Il y a cependant des boutons spécifiques à chaque application mais leur affichage n’étant pas constant et pire, il n’y a pas d’homogénéité globale. Difficile dès lors de se repérer par moment et il faut parfois revenir à la page d’accueil pour effectuer certaines actions…
Pour manipuler l’appareil, BlackBerry a également souhaité utiliser des gestes pour naviguer dans l’interface. Ce choix implique malheureusement de devoir apprendre par cœur comment utiliser l’appareil là ou un iPhone ou un Android seront bien plus évidents. Après, il n’existe au bas mot que 3-4 gestes à apprendre donc ce n’est pas non plus impossible.
Pour découvrir le « hub » centralisant toutes les notifications et messages, il faudra faire un geste qui correspond à un L inversé : du bas vers le haut pour minimiser l’application et balayer vers la droite pour faire apparaître le Hub, tout ça d’un seul geste. Si vous êtes sur la page d’accueil, il suffit de faire le balayage de gauche à droite. Vous êtes perdus ? Ce n’est qu’un début ! Tout le système est ainsi ! Il y a de grandes chances qu’un non initié mette un certain temps avant de comprendre comment utiliser le système. D’autant plus que le gros défaut de ces gestes est qu’ils ne sont ni unifiés d’une plateforme à l’autre, mais également impossible à deviner avant de les réaliser… Je l’évoquais d’ailleurs il y a quelques mois. (Lire : Multitouch ta mère !). L’exemple le plus frappant est la gestion du « retour », une action classique que nous utilisons tous les jours de très nombreuses fois. Sur BlackBerry, pas de bouton « fixe » pour cela, à la manière d’Apple et de son iOS c’est à la charge de chaque application d’implémenter la chose comme bon lui semble. Seulement voilà, si certaines affichent un bouton retour, d’autres utilisent un geste, et il n’existe aucune règle… Ainsi le geste peut fonctionner, ou pas… Tout dépend de l’application !
Le bureau du BB10 ne fait pas qu’afficher des icônes en grilles, il offre aussi une vision des 8 dernières applications en cours d’exécution dans un écran qui les regroupes sous la forme de cartes miniatures regroupées quatre par quatre. Cette vue pourrait presque s’apparenter à des widgets ou à des tuiles façon Windows Phone, c’est en partie vrai. Non seulement toutes les applications n’exploitent pas ce système, mais surtout le fait de mélanger ici le multitâche et les « widgets » fait qu’il est impossible d’avoir une liste constante. Ainsi selon les applications que vous avez lancé, les cartes seront différentes, rendant impossible l’utilisation de cette vue pour voir rapidement une information. Votre application n’étant pas toujours au même endroit, voire même en dehors des huit cartes possibles ! Là ou un widget comme une tuile reste toujours en place et est donc bien plus simple à retrouver.
Autre grief constaté, le geste consistant à glisser du haut vers le bas de l’écran, à la manière des notifications Android et iOS, affiche des éléments différents selon ou vous vous trouvez. Ainsi sur l’accueil vous aurez des « switch » vous permettant d’activer ou non certaines fonctionnalités (wifi, gps…), un fonctionnement qui reprend quasiment à l’identique le système d’Android 4.2, et qui semble même en avoir copié l’aspect. Seulement une fois dans une application, ce même geste vous offrira l’accès aux paramètres de l’application et non aux contrôles génériques… Et ce quand l’application gère ce geste ! De quoi en dérouter plus d’un, sans même évoquer le côté pratique totalement anéanti…
Le HUB, un centre de notification évolué qui complexifie bien plus qu’il ne simplifie
Élément central dans le nouveau système de BlackBerry, le hub a pour objectif de regrouper l’ensemble des notifications de toutes les applications et de tous vos comptes. Ainsi, nul besoin de lancer plusieurs applications pour voir d’emblée vos nouveaux mails, sms ou autres éléments depuis les divers réseaux sociaux. Si sur le principe cela sonne comme une excellente idée, dans les faits les choses sont bien moins roses.
En effet, tous les testeurs s’accordent à dire que le nombre de notifications toutes mélangées font que l’utilisateur est totalement noyé et n’arrive que difficilement à pouvoir repérer celles qui sont importantes des autres plus annexes. Pire, le fait que ces notifications soient situées dans ce hub, accessible via le geste évoqué plus haut, rend difficile la possibilité d’être réellement notifié ailleurs. Il y aura bien la célèbre LED de notification mais cela ne sera que d’une petite aide une fois l’écran affiché… C’est réellement une déception forte pour un élément majeur du système…
Un clavier intelligent novateur mais qui cache son jeu
Le clavier est un élément essentiel pour BlackBerry. L’entreprise est effectivement célèbre pour ses appareils à clavier physique qui apportent un confort de frappe souvent meilleur que les claviers virtuels auquel nous sommes habitués. Ce n’est donc pas un hasard si un des deux appareils présenté offre un clavier physique complet d’excellente facture. Mais le système propose bien évidement un clavier virtuel pour le modèle 100% tactile.
Comment apporter le savoir faire de BlackBerry aux claviers virtuels ? Comment rendre cet élément un point clef du succès du nouveau système ? Comment renouveler l’usage sans copier la concurrence, et justement s’en démarquer notablement ?
BlackBerry apporte une solution, il faut le dire, innovante et originale. A partir du moment ou vous saisissez un lettre, le système va alors vous proposer divers mots qui pourraient compléter ce que vous avez débuté à saisir. Le principe est connu, et le célèbre clavier SwiftKey sur Android propose déjà une telle intelligence. Ainsi, tout comme dans l’application Android, le BlackBerry va apprendre votre façon d’écrire au fur et à mesure que vous l’utilisez. Là ou il diffère c’est sur la présentation de ces suggestions. SwiftKey propose 3 mots dans une barre positionnée au dessus du clavier alors que sur BB10, les mots sont affichés juste au dessus de la prochaine lettre possible qui les composent. Ainsi, entrer un B vous proposera très certainement le mot « bonjour » situé au dessus du O. Pour valider ce mot, un simple glissé sur la touche suffit. Le principe est simple et redoutablement efficace, mais, car il y en a évidement un, le fait d’afficher les mots sur le clavier fait que la plupart du temps vous allez les masquer avec vos doigts !
En effet, si vous tapez sur votre clavier, il y a de très grandes chances que vous ayez les doigts sur l’écran, et à défaut que ces derniers soient transparents, vous cachez le contenu d’une bonne partie du clavier avec… Du coup, soit vous allez prendre le temps d’écarter les doigts pour voir les suggestions, soit vous allez ignorer ces suggestions et taper de manière classique chaque lettre, soit enfin vous allez apprendre à faire confiance au système en supposant que les suggestions sont bien là… SwiftKey pour sa part est peut être un peu plus basique, quoi que le mode de saisie en glissé qui est en cours d’ajout dans la version Flow prouve le contraire, mais offre un système qui garanti de retrouver les suggestions toujours au même endroit, visibles à tout moment et donc utilisables rapidement. Finalement, l’affichage des mots sur le clavier même semble être une fausse bonne idée…
Une offre applicative inconsistante et incohérente
BlackBerry l’a annoncé avec fierté lors de la présentation, dès son lancement vous aurez l’accès à pas moins de 70 000 applications utilisables avec le nouveau système ! Un petit exploit quand on connait la difficulté qu’a eu Microsoft pour atteindre un tel niveau avec son Windows Phone. Mais voilà, là encore, l’arbre cache malheureusement une forêt bien sombre.
Le système BlackBerry 10 offre en effet la possibilité de développer des applications avec pas moins de 5 plateformes totalement distinctes ! Que cela soit en C/C++ de manière native, C++ avec Qt, HTML5, Action Script Adobe Air et Java Android, tout peut fonctionner et se retrouver dans le marché applicatif officiel du constructeur.
Si sur le papier cela offre une myriade de possibilités aux développeurs pour pouvoir proposer des applications sur ce système, il reste que l’intégration de celles-ci laissent clairement à désirer. En effet, comment proposer une interface applicative cohérente et consistante quand les possibilités varient largement d’une plateforme à l’autre ? Il est assez évident que l’intégration et l’efficacité d’une application native sera autrement meilleure qu’une application développée en HTML ou en Java.
C’est clairement le problème qu’ont rencontré les testeurs : une très grande partie des applications, 40% selon Gizmodo, proviendraient directement d’un portage Android. Cela ne poserait aucun problème en soit si l’intégration d’Android dans BB10 était bonne, mais elle est malheureusement très loin de ce qu’on peut attendre d’un tel système. Ainsi les applications Android sont exécutées au sein d’une machine virtuelle basée sur Android 2.3 qui reprends totalement l’interface et les codes de ce système. Des menus, boutons aux zones de saisies, tout provient d’Android, et ne s’intègre donc absolument pas dans l’esprit du système hôte. La capture d’écran suivante est bien une application dite « BlackBerry »… Cela laisse songeur !
Mais alors, c’est si catastrophique que cela ?
Non, fort heureusement ! Il y a d’excellentes choses dans ce système, des apports majeurs et des petites choses très bien pensées. On pourrait citer en premier lieu le mode Balance qui permet d’isoler totalement l’activité professionnelle et personnelle, une réponse attendue à la problématique rencontrée par tout utilisateur professionnel d’un tel appareil et une garantie de sécurité pour les entreprises. Le célèbre BBM est lui aussi à mettre au crédit du fabricant, car même si bien d’autres systèmes concurrents existent, iMessage par exemple, la qualité et la fiabilité du système de BlackBerry n’est plus à démontrer.
De même, de nombreux éléments fournis sont d’une très grande qualité, l’appareil photo et son application, l’intégration du BlackBerry world et ses contenus de qualités sont également des plus. Le navigateur est également à mettre en avant, basé sur l’omniprésent WebKit, il est puissant, fluide et très complet. Mieux, grâce à son travail avec Adobe, BlackBerry est le dernier système à offrir le support officiel de Flash, ce n’est plus un point essentiel mais il existe.
Mais là encore le niveau offert par les applications système varie grandement de l’une à l’autre. J’ai cité le meilleur, reste des déceptions tel la reconnaissance vocale, très limitée et mal intégrée, l’application de cartographie basée sur Bing Maps à des années lumières d’un Google Maps et bien d’autres…
Tout ceci laisse un arrière goût amer et si le canadien se veut bien évidement très positif, sorti de quelques très bon points il sera très difficile d’inverser la tendance du marché et imposer ce nouveau système. Il faut reconnaître qu’en un peu plus de 18 mois ils ont réussit à offrir un système novateur, repensé et complet, mais il laisse encore l’impression d’être une version beta pas totalement finalisée et ou certaines choses ont été accumulées pour aller vite. Ainsi, l’intégration de nombreuses applications faites pour d’autres systèmes prouve à elle seule l’urgence dans laquelle l’entreprise se trouve. Seulement le résultat est bien plus décevant que rassurant, comme le dit Joshua Topolsky dans son test sur The Verge à propos des 70 000 applications annoncées : « […] c’est un très grand nombre d’applications utilisables dès la sortie. Malheureusement, en testant l’appareil j’avais plus l’impression que cela représentait quelque chose comme 69 000 très mauvaises (ou juste mauvaises) applications »…
Impossible pour le moment de voir d’éléments qui permettraient à BlackBerry d’inverser la tendance face aux deux géants et, si ils ne réagissent pas très rapidement, j’ai bien peur que la sauce ne prenne pas. Ce qui est d’autant plus inquiétant que le fabricant a certes réussit à tenir jusque là, mais ne se remettra très certainement pas d’un nouvel échec… En tout état de cause je leur souhaite sincèrement de corriger le tir au plus vite, la concurrence a du bon et pousse tous les acteurs vers l’avant.
Images : The Verge, Engadget, BlackBerry